L’activité de production des films monte en proportions
dans la ville de Lubumbashi. Ses productions décuplent, investissent les ménages ou les écrans des télévisions. Ses animateurs se comptent
par centaines et ne finissent pas de naître.
Aujourd’hui à Lubumbashi, devenir un acteur de cinéma fait rêver et
passionne dans la jeunesse lushoise alors que le septième art ne fait pas
encore autant de charme qu’à Hollywood ou
encore à Bombay où il fait florès.
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Au centre-ville de Lubumbashi. Source: www.lecongolais.cd |
Ayant fait ses primes débuts loin
de l’attention, de l’intérêt et de la considération de tous, l’activité
de production des films à Lubumbashi peut se
flatter d’alimenter des program mes
de télévision, d’être
au cœur des
échanges, de piquer
la curiosité scientifique voire
même de rapporter quelque
intérêts à ses animateurs ; la gloriole (à prendre en bonne part),
certes ! Quelques faibles
que soient ces avancées, elles
sont quand même significatives de la réalité d’une activité
qui a
ses marques et qui
les réinvente du
jour le jour.
S’appliquer à l’exercice
de décrire une identité du
cinéma de Lubumbashi, voilà le jeu que nombre d’observateurs, de praticiens et de théoricien se refusent
de jouer. Les plus « durs »
vont jusqu’à dénier
le statu de cinéma
à l’ensemble de
l’activité de production des
films. On les
attend souvent soutenir
qu’il est bien
tôt de parler cinéma à Lubumbashi ; ainsi, à tous ceux qui viendraient à s’arracher les
cheveux pour désigner ce qui se fait,
ils tranchent, suggérant l’appellation « théâtre filmé ».
Ces
considération est bien
d’autres nous obligent
à faire une mise au
point. Une mise
au point qui nous
soumet à l’exercice
de nous prononcer au
milieu de ces
considérations contrastées sur
l’existence d’un cinéma lushois.
Cinéma lushois une réalité ou une
question de nomenclature ?
Cette
interrogation illustre bien
le conflit d’appréciation dont
la production
cinématographique lushoise est
sujette. Cette disparité
des vues, entre
ceux qui doutent de
la réalité d’un
cinéma lushois et
ceux qui soutiennent
l’inverse, nous invite à nous prononcer sur la question.
Pour
élaborer cet article, nous
avons échangé avec
les partisans de
deux considérations et, nous
sommes imprégné de
la substance profonde
de chaque appréciation.
Les arguments de ceux qui dénient le
statu de cinéma aux films lushois reposent sur une palette des critères d’appréciation tout à
la fois passionnés
qu’objectifs. Si l’on
examine l’environnement institutionnel (cadre législatif, possibilité de faire un
montage financier, mécanisme d’aide, circuit de distribution,…), contexte économique, la
qualité artistique des
films ou encore
le profil de la plupart
des réalisateurs, on peut avoir des raisons de douter de la réalité
d’une cinématographie pleinement lushoise.
Le
cinéma est à la
fois un art,
une technique et une
industrie. C’est suivant ces aspects qu’il se définit globalement aujourd’hui.
Art, technique et
industrie entretiennent au
cinéma une cohabitation
et interaction sous l’effet
desquelles on se préoccupe de moins en moins de les considérer, chacun dans sa singularité. On
craint pour cela d’entamer la plénitude même de la notion du cinéma ; une
plénitude que l’on voit dans le concert, l’intimité des ces trois aspects. Il
est indéniable que c’est
dans la triade « art-technique-industrie »
que le cinéma puise
son développement et l’y assied.
Sans les
effets tonifiants de son industrialisation, sa technique n’aurait
pu s’affiner comme on peut le remarquer.
Aussi, l’art cinématographique n’aurait
pu s’auréoler du même
mythe qui l’entoure
sans que la technique, qui lui assure la matérialité,
ne se soit perfectionnée.
L’intimité entre art, technique et
industrie doit exister au cinéma, et nous ne pouvons la vouloir
que plus forte encore pour le bien du cinéma. Mais
elle ne doit
pas nous faire perdre de vue la
réalité que le cinéma est avant tout un art. Il a une esthétique et un
matériau bien propre
à lui. Le
cinéma a beau
être un commerce
aussi. Toutefois cet aspect,
en dépit de
l’importance cruciale qu’il
a prise, lui
est complémentaire ! Autrement pourquoi le cinéaste est-il un
artiste au même titre que le peintre ou le
musicien ? Pourquoi apprécie-t-on
une œuvre cinématographique, non pas
en considération des
millions que sa production a
engloutis , mais en tenant compte de
la mise en
matériau cinématographique d’un
récit ? E t
pourquoi fait-on de la
critique cinématographique pour
déterminer la portée
d’un film ? C’est
dire que par delà tout le cinéma
est fondamentalement un art.
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Photo Fils Ngeleka |
A ce qu’il paraît, on privilégie
guère ce
raisonnement dans l’effort
de jugement de
la portée cinématographique des
films lushois et de toute
la production lushoise. On a beau
reprocher aux « artisans
des films » lushois
la modicité de
leurs moyens, l’inconvenance de
leur dispositif technique,
et bien d’autres
reproches, sans considérer
le fait que le grief
le plus essentiel
dont ils puissent
répondre, en tant qu’ « artistes de cinéma », reste celui
de l’usage du matériau
cinématographique. C’est sur
ce fondamental que
repose le savoir-faire, le
prestige d’un réalisateur de cinéma et même la livrée cinématographique d’un
film. Le réalisateur doit, au récit d’un film, pouvoir donner une forme
cinématographique. L’art
cinématographique même « se définit comme art de donner forme à ce matériau (…)
le cinéma travaille
aussi d’autres matériaux
(la lumière, l’espace
architectural, le texte,
l’acteur, la mise en scène) comme le théâtre, mais ce n’est pas cela qui fait
sa spécificité, ce n’est
pas ce travail-là
qui le constitue
comme art authentique
et autonome »(1).
Le
cinéma s’est inspiré
de l’esthétique des
arts qui l’ont
précédé, à savoir :
la sculpture, la musique, la littérature, l’architecture, le théâtre…
c’est de ce dernier qu’il a, plus que
des autres arts,
hérité le plus.
Puisqu’après s’être formé
sur les arts comme l’architecture (de qui il tient
l’organisation de l’espace), de la littérature (de qui il tient l’usage du
texte), de la danse (de qui il tient le mouvement), pour ne citer que ces arts.
Le théâtre a inventé la mise en scène. C’est à sa commande que le cinéma
organise tous les emprunts qu’il tient des autres arts. Aussi sans la mise en
scène, le théâtre ne pourrait
se définir comme
un art autonome. Cette
esthétique globale du théâtre, le cinéma l’a happée, faite
sienne, réinventée, nourrie pour son expression afin d’exister comme art
autonome. Le résultat
de ce cheminement
fait d’emprunts théâtraux
réinventés et nourris a fait
naître le matériau
cinématographique. Celui-ci se
résume « comme la mise en rapport,
simultanée à l’intérieur de chaque plan, et successive dans la suite des plans,
des mouvements dans l’espace et des mouvements dans le temps »(2). Il
ressort de cette définition les notions suivantes :
Mouvement
du champ :
Au théâtre, l’angle de perception du
spectateur est monotone, fixe. Le spectateur ne peut changer sa perspective du
« manteau d’Arlequin » (entendez la scène théâtrale) au cours d’une représentation. Le
mouvement est le
monopole de l’acteur ;
il seul à se
mouvoir sur les planches.
A u cinéma, par
contre, le mouvement concerne
aussi bien l’acteur que le spectateur, à
la faveur des mouvements de la caméra. Ceux-ci donnent au spectateur de
cinéma la liberté
de voir plus
qu’il ne peut
même dans le
réel. Au réalisateur, ces mouvements offrent la possibilité de construire
« une vision-audition du monde » (Cette expression est de Pierre
Maillot) appropriée à la substance dialectique
de son récit. Ainsi qu’elle bouge ou
reste immobile, la
caméra doit participer au
sens, à la
sensation désirée par le
réalisateur. La caméra,
par son mouvement,
ne fait pas
que reproduire « le mouvement de l’objet [qu’elle filme],
mais (…) qu’elle met (…) en mouvement le point de vue sous lequel l’objet filmé est perçu ».(3)
Et de cette manière « ce n’est plus du théâtre, c’est du cinéma parce que le
mouvement n’affecte plus seulement l’observé, mais il vient animer le point de
vue de l’observateur »(4).
Mouvement
dans le champ :
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L’intimité entre art, technique et industrie doit exister au cinéma.Photo F. Ngeleka |
Ces
mouvements concernent la
façon dont les
personnages entrent et
sortent du champ, comment s’y
déplacent ? Ou s’y immobilisent-ils ? E t comment la caméra les y filme-t-elle
? Ce mouvement est
étroitement lié au
précédent. Leur jonction
donne du sens à l’espace cinématographique.
Le
montage:
Le
montage se charge
de la mise
en rapport finale
des mouvements de
l’espace (mouvement dans le
champ), du temps,
du son. Le
montage « c’est finalement
le rythme de l’œuvre, son sens » (5).
Ces ingrédients, qui font la substance
de l’art cinématographique, nombre d’artisans des films lushois y font recourt dans leurs productions. Les
critiques sur les films de Lubumbashi sont à émettre sur l’usage, l’organisation
de ce matériau dans les films. C’est de ce
cela qu’on doit faire un procès aux réalisateurs et c’est surtout sur
cette base qu’il faut
s’appuyer pour déterminer
ou non le
statu cinématographique des films lushois.
Cette
approche du matériau
cinématographique est, on
peut le remarquer,
bien appropriée au film de fiction.
Mais que dire
des films documentaires lushois ?
Ces films font partie intégrante de la production cinématographique
lushoise. Même si on en fait pas
grand cas, quand
on examine ces
films, loin des
appréciations passionnelles, on se
surprend qu’on y
trouve bien d’ingrédients
du standard de réalisation du documentaire.
Le
problème de fond du cinéma lushois se situe dans la
nature cinématographique ou non, mais dans le niveau, l’efficacité, la
conformité dans l’usage du matériau, de la grammaire, du code cinématographique
par les réalisateurs.
On
peut aimer ou
détester l’histoire d’un film
lushois. On peut minimiser sa
qualité plastique ou littéraire voire sa
distribution et que sais-je
encore. Mais tout
en étant importants, ces facteurs
n’ont pas grand-chose
de cinématographique. Ils
peuvent relever du choix personnel
du réalisateur ou être imputables
aux limites techniques, financières, intellectuelles ou contextuelles
auxquelles est confronté un cinéaste. Cela revient à dire que ce qu’un film a
de cinématographique c’est la mise en forme en
matériau cinématographique d’un
récit. C’est cette mise
en forme qu’il
convient d’apprécier de façon primordiale.
Au regard de tout ce qui précède, nous
affirmons qu’il existe bien un cinéma lushois. D’ailleurs ces mots par lesquels
Kapalanga Ganzungil et Daniel Peraya affirmaient la réalité du cinéma africain
collent aussi bien à
la description du
cinéma lushois : [ce
cinéma] « …présente certes
bien des imperfections
mais celles-ci apparaissent
liées à sa genèse
et à son
degré de développement : il
n’a pas encore
atteint sa maturité. Aussi les défauts, bien réels, que
nous lui connaissons ne peuvent justifier en rien le mépris et les réserves
dont il fait l’objet » (6).
L’existence d’un
cinéma lushois ne
couvre pas pour
autant l’ensemble des
films produits à Lubumbashi.
Parallèlement aux œuvres cinématographiques, sont produits un
nombre importants des
théâtres filmés. Ce
sont des films
qui n’ont de cinématographique que technique ou de nom
tout simplement. Sur le plan artistique ils
sont dénués de la moindre
substance du cinéma.
Leur nombre est
si faramineux qu’ils jettent
de la pénombre
sur les œuvres
cinématographiques. Et très
souvent quand on entend
le gens douter
de l’existence d’un
cinéma lushois, ils
semblent appuyer leur raisonnement
sur ces œuvres
de théâtres filmés.
Elles sont tellement omniprésentes qu’elles hantent tous les esprits.
Ces théâtres filmés sont aux portes du
cinéma et feront peut être le cinéma du futur. Mais il reste encore beaucoup de
chemin à leurs artisans. Entre temps, Lubumbashi à déjà son jeune
cinéma. Un cinéma dont le profil des
animateurs, la technique, la distribution, l’environnement
socio-politico-économique lui forgent une identité propre à lui. On peut nous reprocher notre dénuement et
certains écarts à la grammaire cinématographique, mais nous aussi on fait du
cinéma !
Notes
(1).Pierre
Maillot, p. 131.
(2). Ibidem, p. 130.
(3) Ibidem, p. 126.
(4). Idem,
(5) Idem,
(6). G. Kapalanga et D. Peraya, Le groupe, essence du
spectacle africain, in Caméra Nigra. Le discours du film africain.,
OCIC/Harmattan, Bruxelles, p.103.
Bibliographie
Maillot,P., L’écriture
cinématographique, Paris, Armand Colin, 1999.
Kapalanga, G. et Peraya, D., Le groupe,
essence du spectacle africain, in Caméra Nigra. Le discours du film
africain., OCIC/Harmattan, Bruxelles, pp.157-173.
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