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mercredi 29 octobre 2014

APPROCHE IDENTITAIRE DE LA PRODUCTION CINEMATOGRAPHIQUE DE LUBUMBASHI


L’activité  de production des films monte en proportions dans la ville de Lubumbashi. Ses productions décuplent, investissent  les ménages ou les  écrans des télévisions. Ses animateurs se comptent par centaines et ne finissent pas de naître.  Aujourd’hui à Lubumbashi, devenir un acteur de cinéma fait rêver et passionne dans la jeunesse lushoise alors que le septième art ne fait pas encore autant de charme qu’à Hollywood ou  encore à Bombay où il fait florès.
Au centre-ville de Lubumbashi. Source: www.lecongolais.cd
Ayant fait ses primes débuts  loin  de l’attention, de l’intérêt et de la considération de tous, l’activité de  production des films  à Lubumbashi peut  se   flatter d’alimenter des program mes  de  télévision,  d’être  au  cœur  des  échanges,  de  piquer  la  curiosité scientifique  voire  même  de rapporter quelque intérêts à ses animateurs ; la gloriole (à prendre en bonne part), certes !    Quelques  faibles  que soient ces  avancées,  elles  sont quand  même  significatives de la réalité d’une activité qui  a  ses  marques et  qui  les  réinvente  du  jour  le  jour.   
S’appliquer  à l’exercice  de décrire  une identité du cinéma  de Lubumbashi, voilà  le jeu que nombre d’observateurs,  de praticiens et de théoricien se refusent de  jouer. Les plus  « durs »  vont  jusqu’à  dénier  le  statu  de  cinéma  à  l’ensemble  de  l’activité  de production  des  films.  On  les  attend  souvent  soutenir  qu’il  est  bien  tôt  de  parler cinéma à Lubumbashi ; ainsi,  à tous ceux qui viendraient à s’arracher les cheveux pour désigner  ce qui se fait, ils tranchent, suggérant l’appellation « théâtre filmé ».
Ces  considération  est  bien  d’autres  nous  obligent  à  faire une  mise au  point.  Une  mise  au  point  qui nous  soumet  à  l’exercice  de nous  prononcer  au  milieu  de  ces  considérations  contrastées  sur  l’existence  d’un cinéma lushois.
Cinéma lushois une réalité ou une question de nomenclature ?
Cette  interrogation  illustre  bien  le  conflit  d’appréciation  dont  la  production cinématographique  lushoise   est  sujette.  Cette  disparité  des  vues,  entre  ceux  qui doutent  de  la  réalité  d’un  cinéma  lushois  et  ceux  qui  soutiennent  l’inverse, nous invite à nous prononcer sur la question.
Pour  élaborer  cet article,  nous  avons  échangé  avec  les  partisans  de  deux considérations  et,  nous  sommes  imprégné  de  la  substance  profonde  de  chaque appréciation.
Les arguments de ceux qui dénient le statu de cinéma aux films lushois reposent sur une  palette des critères d’appréciation  tout à  la  fois  passionnés  qu’objectifs. Si  l’on examine  l’environnement  institutionnel  (cadre législatif, possibilité de faire un montage financier, mécanisme d’aide, circuit de distribution,…),  contexte économique,  la  qualité  artistique  des  films  ou  encore  le  profil  de la plupart  des réalisateurs, on peut avoir des raisons de douter de la réalité d’une cinématographie pleinement lushoise.
Le  cinéma est  à  la  fois  un  art,  une  technique  et  une industrie. C’est suivant ces aspects qu’il se définit globalement aujourd’hui. Art,  technique  et  industrie  entretiennent  au  cinéma  une  cohabitation  et  interaction sous l’effet desquelles  on se préoccupe  de moins en moins de les  considérer, chacun dans sa singularité. On craint pour cela d’entamer la plénitude même de la notion du cinéma ; une plénitude que l’on voit dans le concert, l’intimité des ces trois aspects. Il est  indéniable que  c’est  dans  la triade « art-technique-industrie » que  le cinéma  puise  son développement  et l’y assied. Sans  les  effets  tonifiants de  son industrialisation, sa technique n’aurait pu s’affiner comme on peut le remarquer.  Aussi,  l’art cinématographique  n’aurait  pu  s’auréoler du  même  mythe  qui  l’entoure  sans  que  la technique, qui lui assure la matérialité, ne se soit perfectionnée.
L’intimité entre art, technique et industrie doit exister au cinéma, et nous ne pouvons la  vouloir  que plus  forte encore  pour le bien du cinéma.  Mais  elle  ne  doit  pas  nous faire perdre de vue la réalité que le cinéma est avant tout un art. Il a une esthétique et  un  matériau  bien  propre  à  lui.  Le  cinéma  a  beau  être  un  commerce  aussi. Toutefois  cet  aspect,  en  dépit  de  l’importance  cruciale  qu’il  a  prise,  lui  est complémentaire ! Autrement pourquoi le cinéaste est-il un artiste au même titre que le peintre  ou  le  musicien ?  Pourquoi  apprécie-t-on  une  œuvre  cinématographique,  non pas  en considération  des millions  que sa  production a  engloutis , mais en tenant compte de  la  mise  en  matériau  cinématographique  d’un  récit ?  E  t  pourquoi  fait-on  de  la critique  cinématographique  pour  déterminer  la  portée  d’un  film ?  C’est  dire que  par delà tout le cinéma est fondamentalement un art.

Photo Fils Ngeleka
A ce qu’il paraît, on privilégie guère  ce  raisonnement dans l’effort  de  jugement  de  la  portée cinématographique  des  films lushois  et de  toute  la production  lushoise. On a beau reprocher  aux  « artisans  des  films »  lushois  la  modicité  de  leurs  moyens, l’inconvenance  de  leur  dispositif  technique,  et  bien  d’autres  reproches,  sans  considérer  le fait que  le  grief  le  plus  essentiel  dont  ils  puissent  répondre, en tant qu’ « artistes de cinéma », reste  celui  de l’usage  du  matériau  cinématographique.  C’est  sur  ce  fondamental  que  repose  le savoir-faire, le prestige d’un réalisateur de cinéma et même la livrée cinématographique d’un film. Le réalisateur doit, au récit d’un film, pouvoir donner  une forme  cinématographique.  L’art cinématographique même « se définit comme art de donner forme à ce matériau (…) le  cinéma  travaille  aussi  d’autres  matériaux  (la  lumière,  l’espace  architectural,  le texte, l’acteur, la mise en scène) comme le théâtre, mais ce n’est pas cela qui fait sa spécificité,  ce  n’est  pas  ce  travail-là  qui  le  constitue  comme  art  authentique  et autonome »(1).
Le  cinéma  s’est  inspiré  de  l’esthétique  des  arts  qui  l’ont  précédé,  à  savoir :  la sculpture, la musique, la littérature, l’architecture, le théâtre… c’est de ce dernier qu’il a,  plus  que  des  autres  arts,  hérité  le  plus.  Puisqu’après  s’être  formé  sur  les  arts comme l’architecture (de qui il tient l’organisation de l’espace), de la littérature (de qui il tient l’usage du texte), de la danse (de qui il tient le mouvement), pour ne citer que ces arts. Le théâtre a inventé la mise en scène. C’est à sa commande que le cinéma organise tous les emprunts qu’il tient des autres arts. Aussi sans la mise en scène, le théâtre  ne  pourrait  se  définir  comme  un  art autonome.  Cette  esthétique  globale  du théâtre, le cinéma l’a happée, faite sienne, réinventée, nourrie pour son expression afin d’exister comme art autonome.  Le  résultat  de  ce  cheminement  fait  d’emprunts  théâtraux  réinventés  et nourris a fait naître le matériau  cinématographique.  Celui-ci se résume « comme  la mise en rapport, simultanée à l’intérieur de chaque plan, et successive dans la suite des plans, des mouvements dans l’espace et des mouvements dans le temps »(2). Il ressort de cette définition les notions suivantes :
Mouvement du champ :
Au théâtre, l’angle de perception du spectateur est monotone, fixe. Le spectateur ne peut changer sa perspective du « manteau d’Arlequin » (entendez la scène théâtrale) au cours d’une  représentation.  Le  mouvement  est  le  monopole  de  l’acteur ;  il  seul  à  se mouvoir sur  les  planches.  A u  cinéma,  par  contre, le mouvement  concerne aussi bien l’acteur que le spectateur,  à la faveur des mouvements de la caméra. Ceux-ci donnent au spectateur  de  cinéma  la  liberté  de  voir  plus  qu’il  ne  peut  même  dans  le  réel.  Au réalisateur,  ces mouvements offrent  la possibilité de  construire  « une vision-audition du monde » (Cette expression est de Pierre Maillot) appropriée à la substance dialectique  de son récit. Ainsi qu’elle bouge ou  reste  immobile,  la  caméra  doit participer  au  sens,  à  la  sensation  désirée  par  le réalisateur.  La  caméra,  par  son  mouvement,  ne  fait  pas  que  reproduire  « le mouvement de l’objet [qu’elle filme], mais (…) qu’elle met (…) en mouvement le point de  vue sous lequel l’objet filmé est perçu ».(3) Et de  cette manière « ce n’est  plus du théâtre, c’est du cinéma parce que le mouvement n’affecte plus seulement l’observé, mais il vient animer le point de vue de l’observateur »(4).     
Mouvement dans le champ :
L’intimité entre art, technique et industrie doit exister au cinéma.Photo F. Ngeleka
Ces  mouvements  concernent  la  façon  dont  les  personnages  entrent  et  sortent  du champ, comment s’y déplacent ? Ou s’y immobilisent-ils ? E t comment la caméra les y filme-t-elle ? Ce  mouvement  est  étroitement  lié  au  précédent.  Leur  jonction  donne du sens à l’espace cinématographique.
Le montage:
Le  montage  se  charge  de  la  mise  en  rapport  finale  des  mouvements  de  l’espace (mouvement  dans  le  champ),  du  temps,  du  son.  Le  montage  « c’est  finalement  le rythme de l’œuvre, son sens » (5).
Ces ingrédients, qui font la substance de l’art cinématographique, nombre d’artisans des films lushois  y font recourt dans leurs productions. Les critiques sur les films de Lubumbashi sont à émettre sur l’usage, l’organisation de ce matériau dans les films. C’est de ce  cela qu’on doit faire un procès aux réalisateurs et c’est surtout sur cette base  qu’il  faut  s’appuyer  pour  déterminer  ou  non  le  statu  cinématographique  des films lushois.
Cette  approche  du  matériau  cinématographique  est,  on  peut  le  remarquer,  bien appropriée  au film  de fiction.  Mais  que  dire  des films  documentaires  lushois ?  Ces films font partie intégrante de la production cinématographique lushoise. Même si on en  fait  pas  grand  cas,  quand  on  examine  ces  films,  loin  des  appréciations passionnelles,  on  se  surprend  qu’on  y  trouve  bien  d’ingrédients  du  standard  de réalisation du documentaire.
Le  problème de fond du cinéma lushois se situe dans  la  nature cinématographique ou non, mais dans le niveau, l’efficacité, la conformité dans l’usage du matériau, de la grammaire, du code cinématographique par les réalisateurs.
On  peut  aimer  ou  détester  l’histoire  d’un film  lushois. On  peut minimiser  sa  qualité plastique  ou  littéraire voire  sa  distribution  et que  sais-je  encore.  Mais  tout  en  étant importants,  ces facteurs  n’ont  pas  grand-chose    de  cinématographique.  Ils  peuvent relever  du choix  personnel  du réalisateur  ou être imputables aux limites techniques, financières, intellectuelles ou contextuelles auxquelles est confronté un cinéaste. Cela revient à dire que ce qu’un film a de cinématographique c’est la mise en forme en  matériau  cinématographique  d’un  récit.  C’est  cette mise  en  forme  qu’il  convient d’apprécier de façon primordiale. 
Au regard de tout ce qui précède, nous affirmons qu’il existe bien un cinéma lushois. D’ailleurs ces mots par lesquels Kapalanga Ganzungil et Daniel Peraya affirmaient la réalité du cinéma  africain  collent  aussi bien  à  la  description  du  cinéma  lushois :  [ce  cinéma]  « …présente  certes  bien  des  imperfections  mais  celles-ci  apparaissent  liées  à  sa genèse  et  à  son  degré  de  développement :  il  n’a  pas  encore  atteint  sa  maturité. Aussi les défauts, bien réels, que nous lui connaissons ne peuvent justifier en rien le mépris et les réserves dont il fait l’objet » (6).
L’existence  d’un  cinéma  lushois  ne  couvre  pas  pour  autant  l’ensemble  des  films produits  à  Lubumbashi.  Parallèlement  aux  œuvres cinématographiques, sont produits  un  nombre  importants  des  théâtres  filmés.  Ce  sont  des  films  qui  n’ont  de cinématographique que technique ou de nom tout simplement. Sur le plan artistique ils  sont  dénués  de  la  moindre  substance  du  cinéma.  Leur  nombre  est  si  faramineux qu’ils  jettent  de  la  pénombre  sur  les  œuvres  cinématographiques.  Et  très  souvent quand  on  entend  le  gens  douter    de  l’existence  d’un  cinéma  lushois,  ils  semblent appuyer    leur  raisonnement  sur  ces  œuvres  de  théâtres  filmés.  Elles sont tellement omniprésentes qu’elles hantent tous les esprits.
Ces théâtres filmés sont aux portes du cinéma et feront peut être le cinéma du futur. Mais il reste encore beaucoup de chemin à leurs artisans. Entre temps, Lubumbashi à déjà  son jeune  cinéma.  Un  cinéma dont le profil  des  animateurs, la technique, la distribution, l’environnement socio-politico-économique lui forgent une identité propre à lui.  On peut nous reprocher notre dénuement et certains écarts à la grammaire cinématographique, mais nous aussi on fait du cinéma !


Notes
(1).Pierre Maillot, p. 131.
(2). Ibidem, p. 130.
(3) Ibidem, p. 126.
(4). Idem,
(5)  Idem,
(6). G. Kapalanga et D. Peraya, Le groupe, essence du spectacle africain, in Caméra Nigra. Le discours du film africain., OCIC/Harmattan, Bruxelles, p.103.

Bibliographie

Maillot,P., L’écriture cinématographique, Paris, Armand Colin, 1999.
Kapalanga, G. et Peraya, D., Le groupe, essence du spectacle africain, in Caméra Nigra. Le discours du film africain., OCIC/Harmattan, Bruxelles, pp.157-173.

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