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lundi 30 mars 2015

Quand le théâtre renaît, fait rupture et mute

Avez-vous déjà fait l’expérience de ce plaisir-déception, quand, au sortir d’une représentation théâtrale vous vous questionnez : "qu’est-ce que ça raconte ?", incapable de trouver une cohérence aux flots de paroles, de mouvements, de symboles…, dont vous venez d’être le spectateur? Serez-vous stimuler à suivre une représentation théâtrale qui semble vous ignorer ? Quelle réalité se dessine dans votre esprit à l’énoncé de cette paire de mots : Théâtre contemporain ? Si ces questions vous font quelques mystères, rien de plus naturel ! Ces mystères sont bien à la proportion de l’esthétique théâtrale en question, l’esthétique du théâtre contemporain.

Des acteurs de théâtre à Kiwele, Lubumbashi 2014. Source: kyondo Tv
Car le théâtre contemporain est avant tout une esthétique, esthétique comme une singulière de générer, d’agencer et de faire parler les mots, esthétique comme une redéfinition de l’art théâtrale ou encore comme recréation et réexpression de symboles en toute leur infinitude. L’esthétique contemporaine est cette étendue que rien ne borde, insoupçonné   où l’on ballote d’un ressenti de perte et de reprise de repères, étendue comme tout le mystère qu’émerge de cette interrogation : que devient le théâtre classique quand il renaît, fait rupture et mute ?
Elans de rupture
Renaissance, rupture et mutation trois maîtres-mots  qui sont au cœur de l’esthétique de ce théâtre du temps présent inauguré notablement dans la décennie 80. La rupture s’inaugure dans l’élan de « recherche d’une esthétique qui rompt avec le modèle occidental »[1]. La génération des dramaturges à la manœuvre dans cette besogne de sape-refonte est celle de Souleymane Koly, Sony Labou Tansi, Nyangoran Porquet, Zadi Zouarou ou Were Were Liking.[2] Les esthétiques propres à chacun de ces auteurs, et celles d’autres anonymes ou connus qui ne sont pas nommément cités ici, non sans être remarquables, loin s’en faut, font intersection dans leurs élans communs vers une réappropriation africaine de l’esthétique théâtrale, une africanité théâtrale, au-delà des faciès, de la couleur de la peau, des frontières, mais de l’ « universel africain ».
Ousmane Aledji se fait bien l’écho de l’idée : « Mon théâtre(…) il est le cœur et le chœur du monde ; il est le carrefour de tous les bruits, de tous les cris, de toutes les poésies. A ce que je sache, il n’y a pas de cris particulier à une race, pas de cris particulier à un coin de la terre ».
Africanité, au-delà des faciès
Les lignes esthétiques de la génération Labou Tansi voient grossir leurs traits en toute fin des années 80. Le ton à cette nouvelle génération est donné par le togolais Kossi Efoui, à travers Carrefour. Ces nouveaux dramaturges réactualisent l’esthétique, qui devient « celle de la culbute nécessaires : mettre sens dessus dessous les idées reçues, perdre le spectateur dans un univers où il ne retrouve plus les remarques d’une identité repérable. Ils défendent un théâtre monstrueux   et chimérique fait de marcottages et de collages »[3] Le « bel animal » essuie-là ses derniers outrages. La rébellion contre l’esthétique classique se fait plus nourrie qu’elle n’était auparavant. Elle s’exerce dans les plumes  rafraichies de Werer Were Liking, Koffi Kwahulé, Caya Makhele ou Kously Lamko. La réinvention permanente est alors, tel un maelström, une nécessité dans la pratique et la création théâtrales africaines, résonne au-delà d’un élan de liberté pour se prévaloir de toute l’épaisseur de l’écriture, elle veut s’entendre considérer comme un bond pour la survie. Exit la quête identitaire d’une africanité synonyme de repli sur soi. Les dramaturges africains se projettent « après avoir longtemps [été] enfermés à l’unisson dans la seule couleur chassée de l’arc-en-ciel (…) se sont réappropriés l’arc-en-ciel tout entier et ce sont les imaginaires et les respirations d’Afrique qu’ils font aujourd’hui et résonner au-delà des couleurs»[4]. L’Africanité s’entend alors nécessité d’étreindre l’universel.


[1] Sylvie Chalaye, Dramaturgies de la culbute et du détour, Théâtres contemporains du Sud 1990-2006. Notre Librairie N°162 juin-août 2006.
[2] Idem
[3] Idem
[4] Sylvie Chalaye, Les couleurs du théâtre africain

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